« Cette communauté, complexe, bouleversante, profondément imparfaite, et ces figures (réelles ou fictives) sont mes pulsions de vies et mes précieux talismans. »
Pour commencer la semaine, on est ravi.e.s de mettre en avant le récit de Léane Alestra, dont nous suivons et admirons le travail depuis un moment !
Bonne lecture et surtout, si vous le pouvez, n’hésitez pas à la soutenir via son patreon
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@leane.alestra est autrice, militante féministe et média-activiste. Sociologue de formation et spécialiste des questions de genre, elle est également la créatrice du média @mecreantes, présent sur les plateformes audio mais aussi sur le blog Médiapart, sur Facebook et Instagram. Son podcast contient treize documentaires sonores qui cumulent des centaines de milliers d’écoutes. Elle est également membre du bureau du média @manifesto21, le média des émergences culturelles et sociales, qui fête ses dix ans cette année.
Léane Alestra est l’autrice de Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ?, un essai qui remet en question la norme hétérosexuelle en interrogeant les relations homosociales masculines. Léane Alestra avait précédemment coécrit Nos amours radicales paru chez Les Insolentes en 2021.
Un des premiers souvenirs d’enfance se déroule dans ma classe de CE1, au moment où j’ai fièrement décroché la fève nichée dans ma galette. Je déchante l’instant d’après : la maîtresse n’en démord pas, il me faut choisir un roi. Je lui tiens tête, terrifiée à l’idée qu’un garçon puisse s’imaginer que pour lui, je ressente quoi que ce soit. Devant l’impatience du reste de la classe, la maîtresse finit par m’en désigner un, la leçon du jour était dite : « There is no alternative ».
Au cours de ma dixième année, mes amies me somment d’avoir un petit ami. Alors comme la maîtresse de CE1, je finis par en désigner un… et le fuis à chaque fois que retentit la sonnerie de la récré. Il finit par me mettre au pied du mur, dressant l’ultimatum : demain, tu m’embrasses sur la bouche, ou c’est fini. Le soir même, je me plonge dans un bain, relisant Shéhérazade, tout en poussant de longs soupirs aux consonances drama-gouine. Le lendemain matin, je passe la journée à l’éviter, impatiente de recevoir le bout de papier m’annonçant notre « divorce« .
À plusieurs reprises pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai tissé des liens étroits et particuliers avec des filles. Le plus souvent les familles de mes « précieuses amies » finissaient par m’interdire de les fréquenter, sous prétexte que j’avais une mauvaise influence sur elles. N’étant pas moins sage que les autres, je tombais des nues, à chaque fois. Il m’a fallu de longues années pour comprendre que parfois, l’extérieur perçoit plus rapidement que nous les liens qui se jouent.
À l’âge de 12 ans, j’ai pris conscience de mon attirance pour les filles (imaginant encore que l’intérêt pour les garçons viendrait), puis j’ai totalement black-out jusqu’à ma vingtaine. Comme beaucoup de personnes LGBTQIA, j’ai perdu des années, en préférant le néant à l’interdit. Les problèmes ne manquaient pas chez moi, je ne voulais pas en ajouter, et ma seule représentation lesbienne était une proche parente retournée honteusement au placard après une courte liaison.
Il m’a fallu une décennie supplémentaire pour faire mon coming in, grâce à des amies lesbiennes désignées fées-marraines. Mon installation à Paris, signe ma découverte des cercles de la constellation LGBTQIA. Ils m’ont rendu tout ce qui m’était confisqué : l’impertinence, la flamboyance et surtout la liberté. En m’accueillant radicalement pour ce que je suis, les gouines m’ont permis de devenir une personne moins individualiste, puisque moins centrée sur mes névroses. Je les aimes totalement, et d’une fierté profonde : cette irrévérence, leurs regards espiègles, curieux, assaisonné d’un don inimitable pour la dérision, sans parler de leurs micro gestes qui, à l’occasion, trahissent leur vulnérabilité, et que dire de cette vulnérabilité qu’iels encagoulent souvent sous des tonnes de vigueur…
Cette communauté, complexe, bouleversante, profondément imparfaite, et ces figures (réelles ou fictives), sont mes pulsions de vies et mes précieux talismans. Bravo les lesbiennes !