Label Gouine*

Andrea – Carte Blanche

« Je fais partie de celles qui ont toujours su. » 💜

Aujourd’hui, nous sommes très heureux.ses de partager avec vous le récit d’Andrea, créatrice de la newsletter féministe LGBTQI+ autour de la santé mentale :
📮 ‘Tu devrais consulter’.

@tu_devrais_consulter c’est 2 newsletters par mois envoyées par mail (📮 abonne-toi !) pour celles et ceux qui aiment les histoires de psy (surtout quand c’est celles des autres), qui plus est du point de vue d’une lesbienne 🥦.
Elle y raconte son parcours et ses réflexions intérieures, avec une écriture intime, intelligente et non sans humour. On adore !
Bravo et merci d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice des écrits sur les questions psy. 🗣️

Lien dans la bio de @tu_devrais_consulter, c’est gratuit 🙂

Nos enfants après nous

Je fais partie de celles qui ont toujours su. 

J’ai 6 ans, je joue au papa et à la maman avec ma meilleure amie, (devenue gouine aussi), j’ai envie de l’embrasser pour de vrai, j’ai honte. 

J’ai 12 ans, je pleure dans les bras d’une autre amie (celle-ci devenue bie). Je lui dis « j’ai peur d’être lesbienne. C’est pas possible mon rêve c’est d’avoir des enfants ». Elle me répond : « C’est toi qui choisis. Si tu veux pas l’être tu le seras pas ». Ben oui, logique. Ok. C’est toi qui choisis c’est toi qui choisis. Je suis rassurée.

J’ai 16 ans, premier amour, une meuf évidemment, je choisis pas vraiment. Summer of love. À la rentrée tout le monde est au courant. Grand lycée dans les beaux quartiers, on est pas encore sur une jeunesse open et déconstruite, c’est l’enfer. Je sortirai donc avec des mecs, et je me ferai chier comme les autres, ça je le choisis. Surtout être normale.

J’ai 18 ans, je tombe folle amoureuse d’elle. Cette fois je comprends, j’accepte enfin de dire le mot lesbienne, il est pas si moche en fait ce mot, il est même beau. Hors du microcosme lycéen, j’assume enfin. Je sors, Polit Buro, Troisième Lieu, Whats Gouine on, Foleffet, je rencontre des gouines, des personnes géniales, hors cadre, bien obligées de repenser les codes. Respiration.

Je vois une psy depuis l’enfance, à elle j’ose pas lui dire (plus dur qu’à ma mère), impossible de m’outer donc toutes les semaines je raconte n’importe quoi, finalement je disparais.

J’ai 24 ans en 2013, quand on se prend dans la gueule la violence de la manif pour tous, cette réalité là : il y a des gens qui voudraient qu’on n’existe pas, et ils sortent dans la rue pour ça.

Heureusement la joie militante nous sauve, on gueule on chante ensemble et on célèbre une loi bien imparfaite certes, quand même un premier pas.

Je commence à me dire que ça va être possible, faire famille autrement. 

Aujourd’hui j’ai 35 ans et deux enfants avec ma meuf. Elle, elle est devenue lesbienne à 34 ans, elle me répète souvent « je t’envie, j’aurais tellement aimé être une ado lesbienne ».

La vérité c’est que moi aussi je l’envie parfois. 

En devenant lesbienne à l’âge adulte, déjà bien construite et sûre d’elle, elle a évité la honte, l‘isolement, les humiliations.

Elle a tout de suite été fière. Quitter le confort de l’hétérosexualité lui a demandé un courage immense, et elle en a tiré une force à toute épreuve – aujourd’hui encore elle pourrait hurler de joie à chaque coin de rue « je suis lesbienne ! » me dit-elle. J’adore sa fougue. 

Moi aussi j’aurais aimé connaître la jubilation de la révélation plutôt que la peur de l’exclusion.

Malgré les lectures, le collectif, l’engagement, l’amour, c’est dur de se débarrasser entièrement de la honte. Ça colle à la peau – d’ailleurs, je rougis souvent. 

Notre fils a 3 ans. Deux mères, deux mois d’école, calcul rapide.

Avant de dormir l’autre jour il me confie : « deux garçons m’ont embêté dans la cour. Ils m’ont poussé et m’ont dit – Ben toi ton père il est MORT ». J’ai le cœur qui se brise, on y est, sans surprise. 

Je repense alors à cette psychologue rencontrée un an plus tôt dans un lieu d’accueil parents-enfants (censé accueillir toutes les familles en toute bienveillance).

Notre enfant joue, on le regarde tendrement, la psy s’approche de lui et nous balance tranquille : « vous lui avez dit la Vérité sur son histoire ? Sur son père ? Ça va pas être facile pour lui de se confronter aux autres hein… quand il va comprendre qu’il est différent ».

On est soufflées, prises de court, on se justifie au lieu de s’indigner. On sourit même, à deux doigts de s’excuser. On lui dit oui bien sûr, il sait tout, ah et puis d’ailleurs c’est pas un père, c’est un géniteur ou un donneur et blablabla pédagogie. 

Elle hausse les sourcils et on se barre, dégoûtées. On réalise doucement la violence du moment. Et à cet instant on se demande si nos enfants pourront un jour voir des psys eux aussi, en toute sécurité, sans se taper des théories fumeuses, homophobes, sexistes ou limites.

Au chevet de mon fils ce soir-là, tentant de le rassurer en caressant ses jolis cheveux blonds fluos (vive le Danemark), je repense à cette conne de psychologue réac et je suis en colère. Je me dis que le problème n’est vraiment pas du côté de nos enfants biberonnés in utero à « toutes les familles sont différentes », mais du côté des autres, à qui on a rien dit, rien expliqué, ces pauvres gosses de 4 ans qui comprennent juste pas que « pas de papa » ne veut pas dire « papa mort ». 

J’ai parlé à la directrice de cette histoire, ça tombe très bien c’est ma meuf (je vous accorde qu’avoir deux mères, être le fils de la directrice, habiter dans sa propre école + avoir les cheveux fluos, c’est pas le meilleur moyen d’être discret).

Résultat, puisqu’aucune instit ne se sentait concernée par le doss, elle est passée elle-même dans toutes les classes pour lire « et toi ta famille ? » et discuter avec les enfants. 

Ils ont posé des questions, chacun•e a parlé de sa famille. Elle a entendu notre fils dire aux autres fièrement « ben moi j’ai deux mamans ». 

Maintenant ils savent et peut-être qu’ils se souviendront que tout est possible, même quand ils entendront le contraire.

C’est peut-être ça la clé pour se défaire de la honte, la transformer en colère.

Andrea

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